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Opposabilité des clauses limitatives de responsabilité aux tiers : la jurisprudence de la Cour de Cassation évolue

Dans une décision rendue le 3 juillet 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation apporte une solution nouvelle selon laquelle « le tiers à un contrat qui invoque, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui a causé un dommage peut se voir opposer les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants ».

La responsabilité des contractants à l’égard des tiers

Le prononcé de cette décision poursuit une évolution jurisprudentielle de longue date dont il convient de rappeler les contours.

Depuis un arrêt Besse rendu en 1991 (Cass. ass. plén., 12 juil. 1991, n°90-13.602, Bull. n°5), l’action d’un tiers à un contrat tendant à obtenir réparation d’un dommage causé par un manquement contractuel doit être engagée sur le fondement délictuel.

L’arrêt Boot shop (Cass. ass. plén., 6 oct. 2006, n°05-13-255, Bull. n°9) pose le principe selon lequel le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement délictuel, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage. De plus, si ce tiers établit un lien de causalité entre le manquement contractuel et le dommage subi, il n’est pas tenu de démontrer la faute délictuelle distincte de ce manquement (Cass. ass. plén., 13 janv. 2020, n°17-19.963).

Dans la présente affaire du 3 juillet 2024, un Client et un Prestataire concluent un contrat de prestation de services. Lors du déroulé de ladite prestation, un incident survient endommageant les biens du Client. L’Assureur du Client, subrogé dans les droits de son assuré, assigne le Prestataire en responsabilité contractuelle tendant à obtenir le paiement de dommages et intérêts.

Le débat portait ici sur la recevabilité du moyen par lequel, l’Assureur, tiers au contrat, souhaite se prévaloir des conditions et limitations de responsabilité contractuellement prévues.

La Cour de cassation, répondant par la positive et, motive sa décision à double titre.

Tout d’abord, la Cour met en avant le caractère « prévisible pour le débiteur ». En l’espèce, les Parties se sont engagées en considération de l’entièreté du contrat comprenant les mentions relatives à la limitation de responsabilité. L’inapplicabilité de ces dispositions serait de nature à entacher le contrat d’imprévisibilité pour le débiteur.

Ensuite, dire le contraire reviendrait à accorder une position plus favorable au tiers, pouvant se prévaloir d’une responsabilité illimitée, vis-à-vis des contractants dont la responsabilité est quant à elle limitée.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la Cour de cassation considère que les conditions et limites de la responsabilité contractuelle sont opposables au tiers se prévalant d’un manquement contractuel sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Cette prise de position semble être inspirée de la proposition de loi, déposée le 29 juillet 2020, portant réforme de la responsabilité civile. Cette proposition prévoyait notamment le renforcement de la place du tiers dans le jeu contractuel dès lors que ce dernier « a un intérêt légitime à la bonne exécution du contrat » (proposition modifiant l’article 1234 alinéa 2 du Code civil). Si la proposition de loi a été partiellement adoptée (loi n°2024-346 du 15 avril 2024 visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels), des discussions subsistent concernant la révision de l’article précité.

Décryptage pratique de la décision rendue

Transposée au cœur d’activité du Département, cette solution semble pouvoir se traduire de la manière suivante : un contrat est conclu entre un centre de santé et un laboratoire pharmaceutique leur permettant notamment de cadrer leurs responsabilités.

Une telle limitation pourrait ainsi être formulée « la responsabilité cumulée du Laboratoire envers le Centre de santé, au titre des réclamations du présent Contrat, ne pourra excéder, au total, le montant payé par le Centre dans le cadre du Contrat au cours des douze (12) derniers mois précédant le fait générateur de responsabilité ».

Suivant le raisonnement de la chambre commerciale de la Cour de cassation, une personne concernée [1] au sens du Règlement Général sur la Protection des Données dont les données personnelles ont été traitées par le centre de santé dans le cadre de l’utilisation d’un produit du laboratoire cocontractant pourrait fonder son action sur le fondement délictuel en invoquant un manquement contractuel. Dans cette hypothèse, la personne concernée doit s’attendre à subir, ou se prévaloir des conséquences de la clause limitative de responsabilité mentionnée ci-dessus.

Toutes précautions gardées et à dire que la solution du 3 juillet 2024 soit transposée, cela reviendrait à limiter l’engagement de la responsabilité du laboratoire envers la personne concernée.

Jeanne BOSSI MALAFOSSE, associée, et Camille BLOUET, stagiaire


[1Au sens de l’article 4 du RGPD, la personne concernée est la personne qui peut être identifiée, directement ou indirectement notamment par référence à un identifiant, tel qu’un nom, numéro d’identification, données de localisation, etc.