Pour faire face au choc économique lié à la crise sanitaire du coronavirus, le gouvernement a mis en œuvre différents dispositifs en vue de soutenir les entreprises.
Le prêt garanti par l’état (PGE) a été et demeure l’une des mesures phare annoncée en mars 2020 par le gouvernement. En effet, les banques se sont engagées à distribuer massivement des prêts garantis par l’Etat pour soulager sans délai la trésorerie des entreprises et des professionnels. Selon le dernier décompte réalisé par Bercy à la mi-décembre 2020, environ 130 milliards d’euros de PGE ont été accordés aux entreprises, sur une enveloppe globale de 300 milliards d’euros. Pour la grande majorité, ces PGE ont été conclus sur la période de mars à juin 2020.
Les incertitudes liées au 2ième confinement ont conduit le gouvernement à prendre de nouvelles mesures : le dispositif du PGE qui devait expirer le 31 décembre 2020 a été reconduit pour 6 mois, permettant aux banques d’accorder un PGE jusqu’au 30 juin 2021 (voire jusqu’au 31 décembre 2021 selon le dernier communiqué du 22 avril émis par la fédération bancaire française). Par ailleurs, suite aux annonces du ministre de l’économie le 14 janvier dernier, toutes les entreprises qui le souhaitent, quelles que soient leur activité et leur taille, auront le droit d’obtenir un différé d’un an supplémentaire pour commencer à amortir leur PGE. Ainsi, une entreprise ayant contracté un PGE en avril 2020, et qui ne serait pas en mesure de commencer à le rembourser en avril 2021, pourra demander un report d’un an et commencer son remboursement en avril 2022. Pendant cette deuxième année, seuls les intérêts et le coût de la garantie de l’Etat seront dus. Attention tout de même à prendre en compte la durée de remboursement, qui de fait, sera raccourcie. En effet, la durée totale du PGE étant de six ans, l’entreprise bénéficiant d’une deuxième année de différé de remboursement ne disposera plus que d’un délai de 4 ans maximum pour étaler son remboursement.
Les premiers PGE arrivant à échéance, quelles options s’offrent ainsi aux entreprises ?
Tout d’abord, elles pourront solliciter un remboursement immédiat de leur PGE à l’issue de la première période de différé voire de la seconde période de différé de manière à ne pas faire peser le poids et le coût de cette dette sur les années à venir, pouvant conduire à l’exigibilité anticipée de dettes financières annexes en cas notamment de non-respect de covenants bancaires ou par l’activation de clauses de « défaut croisé » insérées dans la documentation bancaire.
A défaut, elles pourront soit (i) solliciter à titre prudentiel pour ne pas obérer leur trésorerie, une nouvelle période de différé de douze mois et décider à l’issue de cette période, de procéder à un remboursement immédiat total ou partiel du PGE, et dans cette dernière hypothèse, pour le solde, à un amortissement dans la limite des 4 années, soit (ii) amortir tout ou partie de leur PGE sur cinq ans pour éviter une tension trop importante sur leur niveau de trésorerie et passer ainsi plus sereinement le cap de cette période de crise sanitaire. Bien entendu, plus la période de remboursement sera longue, plus le taux d’intérêt sera élevé (taux de 1 à 1,5% pour des prêts remboursés jusqu’en 2022 et 2 à 2,5% pour ceux remboursés à compter de 2024).
Il paraît essentiel de bien se faire accompagner afin de définir la meilleure stratégie à adopter au vu des différentes possibilités d’amortissement envisageables.
Le choix stratégique des entreprises devra être apprécié au regard de plusieurs facteurs : la capacité de remboursement pour l’entreprise (le PGE pouvant aller jusqu’à 25% du chiffre d’affaires et s’il est d’une durée maximum de 6 ans, alors l’entreprise devra consacrer l’équivalent de 4% de son chiffre d’affaires annuel…), un contexte économique qui demeure marqué par (i) des hausses du prix d’achat des matières premières engendrant pour la plupart des entreprises une diminution de leur niveau de marge, (ii) des délais plus importants en terme d’approvisionnement ayant un impact direct sur leur capacité à répondre à la demande de leurs clients dans les délais impartis et consécutivement sur leur niveau de trésorerie, et enfin les choix de l’entreprise pour l’avenir en terme d’investissements et de croissance externe.
Il est important de rappeler que le PGE n’a pas vocation à financer des investissements et/ou des opérations de croissance externe. De nouvelles mesures ont été mises en place à cet effet. Notamment, le 4 mars dernier, Bruno Le Maire a présenté un nouvel outil de relance pour les entreprises par le biais des prêts participatifs. Les prêts participatifs ont pour objet de soutenir l’investissement d’entreprises, certes touchées par la crise financière mais qui sont encore en bonne santé financière et ont de bonnes perspectives de développement. En cela, le prêt participatif est très différent du PGE, instauré pour répondre aux conséquences de la crise et qui ne s’inscrit pas dans un temps très long. Les critères d’accès au prêt participatif sont moins souples que les critères d’accès au PGE. S’agissant d’un prêt subordonné au remboursement intégral des autres dettes bancaires, il constitue un vrai instrument financier de relance à un coût toutefois plus élevé.
Néanmoins, inévitablement, la fin des moratoires fiscaux et sociaux et le remboursement des premiers PGE risquent d’engendrer des défaillances d’entreprises. La brutalité du choc économique risque de bouleverser considérablement l’économie des contrats en cours, sauf renégociation en amont des principales clauses des contrats de crédit passant notamment par une révision des covenants pour l’avenir, un rééchelonnement de la période d’amortissement, voire une période de franchise exceptionnelle pour éviter le prononcé de cas de défaut susceptible de conduire à une exigibilité immédiate de la ou des dettes bancaires existantes.
Pour beaucoup d’entreprises les mesures de soutien dont elles ont bénéficié dans le cadre de la crise sanitaire ont généré ou décalé des dettes (PGE, report du passif fiscal et social…) sans pour autant que le manque à gagner lié à la baisse, voire à l’absence de chiffre d’affaires, n’ait pu être rattrapé ou compensé.
En outre, les statistiques indiquent que le nombre de défaillances d’entreprises au cours des 12 derniers mois a été très nettement inférieur au niveau normal de défaillances que rencontrent habituellement les tribunaux. Cette situation démontre que des entreprises qui étaient en difficulté avant la crise sanitaire ont bénéficié de mesures d’aide, alors qu’en « temps normal » elles auraient été amenées à frapper à la porte des chambres des procédures collectives afin de solliciter l’ouverture d’une sauvegarde, d’un redressement voire d’une liquidation judiciaire.
En outre, la suspension de l’obligation des dirigeants de procéder à la déclaration de cessation des paiements de leur entreprise dès lors que cet état était constaté entre les mois de mars et août 2020 [1] a également contribué à réduire considérablement le nombre d’ouverture de procédures collectives.
Dans la mesure où la crise sanitaire perdure et diffère encore le redémarrage de l’activité d’un très grand nombre de secteurs de l’économie, de nombreuses entreprises, qu’elles aient été ou non en proie à des difficultés préalablement à la pandémie, vont inévitablement être confrontées à un déséquilibre entre le montant de leurs dettes et leur capacité de remboursement.
Cette situation doit conduire les chefs d’entreprises à anticiper au maximum la sortie de crise et éviter ainsi d’être confrontés à un niveau de dettes insurmontable.
Cette anticipation passe notamment par la renégociation et la restructuration du passif. Cette opération peut intervenir dans une discussion bilatérale avec chaque créancier, y compris les établissements bancaires, en dehors de tout cadre spécifique notamment fixé judiciairement.
Néanmoins, dans un grand nombre de cas ces discussions pourront être favorisées par le recours à des mesures d’accompagnement, dites « préventives », prévues par les dispositions du Livre VI du Code de commerce. Ces dispositions prévoient la possibilité pour le chef d’entreprise de solliciter du président du tribunal de commerce (pour les sociétés commerciales) ou du président du tribunal judiciaire (pour les sociétés civiles, associations, agriculteurs…) la désignation d’un mandataire ad hoc [2] ou d’un conciliateur [3] qui l’assistera dans ses négociations.
Ce missions habituellement confiées à des administrateurs ou à des mandataires judiciaires s’inscrivent dans un cadre strictement confidentiel [4] contrairement aux procédures dites « collectives » qui, elles, sont publiques.
Les mandats ad hoc et procédures de conciliation sont parfaitement adaptés à la négociation des dettes financières et bien souvent, les établissements bancaires posent comme condition à l’engagement de discussions, le recours à ce type de mesures.
Il est important de relever que si ces procédures sont largement fondées sur la libre négociation entre les parties, la conciliation offre également des leviers spécifiques.
Ainsi, pour laisser place à la discussion le Code de commerce prévoit notamment la possibilité pour le président du tribunal de reporter ou d’échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues à un créancier qui au cours de la conciliation aurait mis en demeure ou poursuivi l’entreprise en paiement [5].
Dans le cadre des mesures d’adaptation du droit des entreprises en difficulté prises dans le contexte de crise sanitaire, il est également important de relever que le président du tribunal qui a ouvert la procédure de conciliation peut ordonner une suspension des poursuites à l’égard de certains créanciers pour la durée de la procédure de conciliation. A cet égard, il convient de rappeler que la durée d’une procédure de conciliation de 5 mois maximum en temps normal a été portée à 10 mois pour les procédures ouvertes entre le 24 août 2020 et le 31 décembre 2021 [6].
Par ailleurs s’agissant de la possibilité d’obtenir de nouveaux financements, qui dans certains cas s’avèrera être une nécessité, la procédure de conciliation permet de faire bénéficier les apporteurs d’argent frais d’un privilège dit « de conciliation » ou de « new money », qui garantira au créancier un rang privilégié en cas d’ouverture subséquente d’une procédure collective [7].
Toutefois, ce privilège ne s’applique pas à des opérations en capital dans le mesure où le texte exclut expressément les apports consentis pas des actionnaires ou des associés dans le cadre d’une augmentation de capital.
Des négociations portant sur les dettes bancaires « historiques » de l’entreprise mais également sur les dettes nées au cours de la crise sanitaire, notamment les PGE, peuvent donc être favorisées par l’intervention d’un mandataire ad hoc ou d’un conciliateur.
S’agissant spécifiquement de la renégociation des PGE, il convient de vérifier si l’option pour un paiement échelonné a ou non été levée par l’entreprise débitrice.
Dans l’hypothèse où elle n’aurait pas opté pour un remboursement échelonné alors que l’échéance annuelle prévue par le PGE serait dépassée, l’entreprise pourrait se trouver en état de cessation des paiements justifiant l’ouverture d’une procédure collective. Néanmoins, si cet état est caractérisé depuis moins de 45 jours, l’entreprise restera éligible à la procédure de conciliation.
Si la faisabilité juridique de la négociation des autres dettes bancaires ne soulève pas de question spécifique, la renégociation d’un PGE appelle quant à elle un certain nombre d’interrogations.
En effet, si les PGE sont des prêts accordés par des banques commerciales, il n’en demeure pas moins qu’ils constituent des contrats réglementés par les dispositions de l’arrêté du 23 mars 2020 accordant la garantie de l’Etat aux établissements de crédit et sociétés de financement, ainsi qu’aux prêteurs mentionnés à l’article L. 548-1 du code monétaire et financier, en application de l’article 6 de la loi n° 2020-289 du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020.
Or, ledit arrêté modifié par l’arrêté du 29 décembre 2020 dispose en son article 2 que « la durée du prêt ne pourra en tout état de cause pas excéder une période de 6 ans à compter de la date du premier décaissement du prêt ».
Ainsi, il est permis de s’interroger sur la capacité des établissements bancaires à rééchelonner une dette de PGE au-delà de sa durée légale, sans perdre le bénéfice de la garantie de l’Etat.
Dans la mesure où le délai de 6 ans a été fixé pour répondre aux exigences de la Commission européenne en matière de soutien étatique aux entreprises dans le contexte de la crise sanitaire [8], toute discussion portant sur un rééchelonnement de la dette au-delà de ce délai conduirait certainement à une déqualification du contrat de prêt et à un risque de perte de la garantie de l’Etat au-delà du terme légal
Aussi, la faculté de pouvoir rééchelonner le remboursement d’un PGE au-delà de son terme légal parait-elle être plus évidente dans le cadre d’une procédure collective, de sauvegarde ou de redressement judiciaire, dans laquelle le tribunal a la faculté d’imposer aux créanciers des délais pouvant aller jusqu’à 10 ans.
En revanche, dès lors que la durée de 6 ans serait respectée, la renégociation d’un PGE portant notamment sur le taux d’intérêt ou les conditions d’amortissement pourrait parfaitement s’inscrire dans le cadre de procédures préventives.
[1] Ordonnances n°2020-341 du 27/03/2020 & n°2020-596 du 20/05/2020
[2] Art. L.611-3 du Code de commerce
[3] Art. L.611-4 et suivants du Code de commerce
[4] Art. L.611-15 du Code de commerce
[5] Art. L.611-7 du Code de commerce
[6] Loi n° 2020-1525 du 07/12/2020 dite Loi ASAP
[7] Art. L.611-11 du Code de commerce
[8] Commission européenne 2020/C 91 I/01 – J.O. U.E. 20.03.2020