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Suppression de la non fiscalisation immédiate des soultes, un débat tranché pour l’avenir, pas pour le passé

A la suite de l’insertion dans le BOFIP d’une mise en garde concernant l’échange de titres avec soulte, et de la mention de cette opération dans la liste des pratiques et montages fiscaux abusifs, la loi de finances rectificative pour 2016 vient de supprimer le régime favorable de non fiscalisation immédiate de la soulte dans les opérations de restructuration.

Depuis le 1er janvier 2000 pour les opérations d’apport réalisées en sursis d’imposition (article 150-0 B du CGI) et le 14 novembre 2012 pour les opérations d’apport placées en report d’imposition (article 150-0 B ter du GCI), une personne physique qui apportait des titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés pouvait bénéficier d’un différé d’imposition de la plus-value constatée à cette occasion et ce, y compris à raison de la soulte éventuellement perçue [1], à la seule condition que celle-ci n’excède pas 10% de la valeur nominale des titres reçus en échange.

La loi de finances rectificative pour 2016 vient de mettre fin à cette tolérance puisque pour les opérations réalisées à compter du 1er janvier 2017 le différé d’imposition restera certes applicable en présence d’une soulte n’excédant pas 10%, mais cette dernière sera désormais fiscalisée immédiatement.

Plusieurs signes avant coureur laissaient présager un tel revirement législatif : d’abord la précision apportée au BOFIP [2] en 2015 selon laquelle l’Administration se laisse la possibilité de contester le mécanisme sur le fondement de l’abus de droit, puis, l’intégration des échanges avec soulte à la liste [3] des pratiques considérées comme abusives par l’Administration.

Force est de constater que ce choix du législateur s’inscrit dans la liberté que lui reconnait la Directive [4] fusion de taxer immédiatement ou non la soulte dans la limite de 10%.

Du reste, avant la généralisation du sursis d’imposition à partir de 2000, il existait un mécanisme de report d’imposition des plus-values issu de la transposition de la Directive fusion de 1990, dans lequel le législateur avait décidé de fiscaliser immédiatement la soulte éventuellement stipulée.

La modification des articles 150-0 et 150-0 B du CGI par la loi de finances rectificative pour 2016 n’est donc qu’un retour à la situation d’avant 2000 si bien que seul reste en suspens le sort des soultes qui ont bénéficié de cette non fiscalisation immédiate et qui, soit ont déjà été redressées, soit sont encore susceptibles de l’être.

Il semble en effet que de nombreux redressements remettant en cause des soultes sur le fondement de l’abus de droit aient été notifiés ces derniers mois par l’Administration, cette dernière considérant que la stipulation d’une soulte dans le cadre d’une restructuration doit, en elle-même, être justifiée économiquement pour la société bénéficiaire de l’apport de titres, ce qui parait difficilement compréhensible.

Quant au Comité de l’abus de droit, il s’est récemment prononcé sur le caractère abusif d’une soulte [5] (confirmé au cas particulier) dans le cas d’une opération d’apport. Cependant, les faits de l’espèce tels qu’ils ressortent de l’avis rendu (avec notamment un financement du versement de la soulte par emprunt bancaire) ne permettent pas de déterminer si le Comité adoptera une conception aussi restrictive que celle de l’Administration ou bien s’il validera la stipulation d’une soulte dès lors que l’opération de restructuration elle-même est justifiée d’un point de vue économique.

Au regard de la Directive fusion de 1990 et des travaux parlementaires de 1991, 1999 et 2012, la soulte n’a jamais été conçue de façon restrictive si bien qu’elle doit être considérée comme une forme de souplesse destinée à faciliter les opérations de restructurations. Ni le législateur, ni la doctrine administrative correspondante n’ont indiqué, vouloir circonscrire la notion de soulte à un contexte particulier. De plus, la soulte dans les opérations de restructuration ne saurait en aucun cas être cantonnée à régler des questions de rompus qui sont fiscalement traités différemment par la doctrine administrative [6].

Nous pensons donc que la soulte ne devrait pas pouvoir être remise en cause par l’Administration fiscale dès lors que l’opération de restructuration, dont elle n’est qu’une modalité d’exécution, est économiquement et juridiquement parfaitement justifiée.

De ce point de vue, la modification soudaine des articles 150-0 et 150-0 B ter du CGI sonne comme un aveu de faiblesse de la positon de l’Administration. En effet, parfaitement conscient qu’avant le 1er janvier 2017, ces deux articles du CGI permettaient librement de stipuler une soulte non immédiatement fiscalisée, sans que cette stipulation puisse efficacement être contestée sur le terrain de l’abus de droit lorsque la restructuration est justifiée, le législateur a décidé de revenir à la situation antérieure à 2000.

[1Dans une opération d’apport, il s’agit de la somme d’argent versée à l’apporteur permettant de compenser la différence entre la valeur des titres apportés et la valeur des titres remis à l’échange.

[2BOI-BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60-20150702 n°170

[4Article 8 de la Directive 2005/19/CE du Conseil du 17 février 2005 modifiant la directive 90/434/CEE concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d’actifs et échanges d’actions intéressant des sociétés d’États membres différents.

[5Séance du 13 octobre 2016 — Affaire 2016/20 — concernant M. ou Mme A.

[6BOI-RPPM-PVBMI-30-10-20 n°310