Un récent arrêt de la Cour constitutionnelle révèle que pendant des années, l’administration fiscale a sanctionné à tort des contribuables par une majoration de l’impôt dû. Et ce n’est même pas le seul malheur qui attend les contribuables qui déposent leur déclaration en dehors du délai légal.
Toute personne qui a commis une erreur dans sa déclaration d’impôt sur le revenu, ou qui a déposé sa déclaration d’impôt après le délai légal est sanctionnée par une accroissement d’impôt qui est déterminé « selon la nature et de la gravité de l’infraction » et s’élève à un minimum de 10% et à un maximum de 200% de l’impôt sur les revenus non déclarés ou déclarés tardivement (article 444 CIR 1992).
Pour structurer la politique de sanction, des barèmes ont été établis par arrêté royal, qui déterminent le pourcentage de majoration de l’impôt correspondant à chaque infraction.
Toutefois, lorsqu’une entreprise se voit imposer un accroissement d’impôt d’au moins 10%, elle perd automatiquement le droit de déduire les pertes reportées sur la partie du résultat qui fait l’objet d’une imposition d’office pour laquelle des accroissements « d’un pourcentage égal ou supérieur à 10% visés à l’article 444 CIR 1992 sont effectivement appliqués ».
Si un accroissement d’impôts de 10% est souvent négligeable, il peut être catastrophique pour des sociétés en perte. Une société qui dépose sa déclaration hors délai, peut se retrouver débitrice d’un impôt sur un bénéfice qu’elle n’a pas réalisé. Elle sera effectivement imposée sur la base rectifiée, bien que son résultat effectif soit négatif.
C’est cette disposition légale qui a été contestée devant la Cour constitutionnelle. La Cour constitutionnelle a été saisie de la question de savoir si cette sanction supplémentaire était constitutionnelle, étant donné que, par exemple, aucune distinction n’est faite entre les entrepreneurs qui n’ont déposé leur déclaration fiscale qu’avec un jour de retard et les entrepreneurs qui ont réellement commis une fraude.
Dans son arrêt du 21 novembre 2024, la Cour constitutionnelle n’a trouvé rien à redire.
La Cour a notamment déclaré que le refus de la déduction des pertes reportées ne s’applique que lorsqu’un accroissement d’impôt est effectivement imposé, en précisant explicitement que « ce qui n’est en principe pas le cas lorsqu’il s’agit d’une première infraction sans intention de fraude. »
La Cour constitutionnelle affirme donc expressément que l’article 444 CIR 1992 doit être interprété de telle sorte qu’une première infraction fiscale sans intention de fraude ne peut être sanctionnée par une majoration d’impôt.
Ceci va en l’encontre de la ligne politique de l’administration fiscale qui ne renonce à un accroissement d’impôt que si la déclaration tardive ou incorrecte est due à un cas de force majeure, ou s’il y a une discussion de principe.
L’arrêt de la Cour constitutionnelle expose maintenant que cette politique est contraire au droit fiscal. Selon la Cour, aucune majoration d’impôt ne peut être imposé pour une première infraction sans intention de fraude.
L’importance de l’arrêt ne doit donc pas être sous-estimée. En effet, la Cour a reconnu que le droit à l’erreur, c’est-à-dire le droit de commettre des erreurs fiscales sans être sanctionné, fait partie de notre législation fiscale. Le fait que l’administration n’ait jamais reconnu le « droit à l’erreur » implique que ces dernières années des milliers de contribuables ont été sanctionnés à tort.
Entretemps, le ministre des finances a confirmé que « les entreprises, les citoyens et les associations qui n’introduisent pas correctement leur déclaration d’impôts – et qui sont de bonne foi – seront désormais épargnés d’une majoration automatique d’impôts et d’une amende administrative ».
En effet, pour les sociétés en pertes, une imposition d’office peut virer au cauchemar compte tenu du refus de la déduction des pertes reportées.
Selon le gouvernement, cette mesure vise, à inciter les entreprises à remplir correctement leurs obligations de déclaration fiscale…
Dans la pratique on constate que l’administration fiscale y recourt de plus en plus. En adoptant cette mesure, le législateur lui a donné un bazooka pour tuer une mouche.
La Cour constitutionnelle n’y voyait pas de problème puisque cette mesure ne s’applique que lorsqu’un accroissement d’impôt est effectivement imposé, en précisant explicitement que ce n’est qu’à la deuxième infraction, mais que, « d’autre part, les pertes peuvent être reportées et déduites lors d’un exercice fiscal ultérieur, de sorte que l’avantage fiscal lié à la déduction des pertes n’est pas définitivement perdu, la disposition en cause n’entraîne pas de conséquences disproportionnées. »
La Cour constitutionnelle devra maintenant se prononcer sur une autre question préjudicielle relatif au principe constitutionnel de la légalité en vertu duquel aucun impôt ne peut être établi que par la loi.
L’administration peut renoncer à l’accroissement d’impôt de 10% en l’absence de "mauvaise foi" ; l’agent taxateur est ‘libre’ dans son appréciation et il ne doit pas motiver sa décision. Puisque le rejet de la déduction des pertes est une conséquence automatique de l’application d’un accroissement de 10%, c’est de facto l’agent taxateur qui décide si l’impôt est dû ou non. Il a donc un énorme pouvoir qui est potentiellement problématique à la lumière du principe de légalité.
Le rejet automatique des pertes pourrait avoir un caractère pénal, parce que le rejet a clairement un effet dissuasif et punitif. Que le contribuable ait eu ou non l’intention d’éluder l’impôt ne change rien, dans les deux cas, il perd son droit à la déduction des pertes. Pourtant, le juge n’a pas la possibilité de juger si un accroissement d’impôt d’au moins 10 % n’est pas disproportionné par rapport à la gravité de l’infraction. Sur ce point également, la Cour devra se prononcer.
Cette dernière question nous paraît superflue. Le juge peut ignorer les barèmes de l’arrêté royal s’ils sont contraires à la loi. C’est en effet ce qu’a fait le tribunal de première instance de Gand qui a décidé de réduire l’accroissement d’impôt infligé de 10% à 9,99% parce qu’une majoration de 10% (avec les conséquences qu’on connaît) n’était pas proportionnelle à la faute du contribuable.
L’administration fiscale n’a pas fait appel.