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Covid 19 - Force majeure

Dans le contexte particulier lié à l’épidémie actuelle de coronavirus qui étend ses effets dans le monde et particulièrement sur le territoire français, d’importantes mesures restrictives risquent d’être ordonnées, pour une période indéterminée.
Au-delà de l’aspect sanitaire de ces événements, tragique et évidemment prioritaire sur toute autre considération, se dessinent pour les acteurs de l’économie d’importantes difficultés juridiques. Nombre d’entreprises ou d’entrepreneurs risquent en effet de ne pas pouvoir honorer telle ou telle prestation, livraison, transport, etc., ou éprouver des difficultés de paiement, subir des pénalités de retard, etc.
Dans ce contexte, nombre d’entreprises françaises et étrangères pourraient souhaiter se libérer de leurs obligations contractuelles ou les renégocier.

  • L’appréciation de l’existence d’un cas de force majeure :

En matière contractuelle, l’article 1231-1 du Code civil dispose que : « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution des obligations, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force « majeure » ».

Inévitablement, dans nombre de cas, la question de l’existence d’un cas de force majeure lié à l’épidémie actuelle se posera et doit, par conséquent, être anticipée.
À ce titre, le gouvernement a d’ores et déjà annoncé la reconnaissance par l’État et les collectivités locales du coronavirus comme un cas de force majeure pour leurs marchés publics.

Malgré cette annonce, doit-on pour autant considérer que, dans les contrats commerciaux internes ou internationaux s’exécutant en France, le débiteur de l’obligation pourra suspendre ou mettre fin à ses obligations pour ce motif ?
Cette décision aura nécessairement un impact sur les marchés privés eux-mêmes, mais il n’en demeure pas moins que les conditions caractérisant la force majeure, issues du Code civil, devront être réunies.

Selon l’article 1218 du Code civil, il y a force majeure :« lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. Si l’empêchement est temporaire, l’exécution des obligations est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations  » .

Il appartient au juge de déterminer, au cas par cas, si l’événement invoqué par une partie pour échapper à ses obligations contractuelles revêt effectivement les caractéristiques de la force majeure.

Ce nouvel article 1218, issu de la réforme du droit des obligations de 2016 applicable aux contrats conclus après le 1er octobre 2016, reprend les critères développés par la jurisprudence antérieure d’imprévisibilité et d’irrésistibilité de l’événement empêchant l’exécution de l’obligation contractuelle.

Si le droit français fournit une définition assez large de la force majeure, les parties demeurent libres de l’aménager contractuellement ; outre l’analyse des conditions d’imprévisibilité et d’irrésistibilité, il sera alors systématiquement nécessaire d’analyser les clauses contractuelles prévues à cet égard.

  • L’application de la force majeure en cas de crise sanitaire (épidémie de chikungunya...) :

Il convient de rappeler, tout d’abord, que le critère d’imprévisibilité de l’événement qualifié de force majeure doit s’apprécier au jour de la conclusion du contrat. À ce titre, il faudra donc s’interroger sur le moment à partir duquel l’impact du coronavirus sur l’exécution du contrat aurait pu être anticipé. À titre d’exemple, dans le contexte de l’épidémie du chikungunya, la cour d’appel de Saint-Denis-de-la-Réunion, dans un arrêt du 29 décembre 2009, a considéré que la force majeure justifiant la rupture du contrat faisait défaut dès lors que l’épidémie préexistait et était connue avant sa conclusion et n’était donc pas imprévisible.

Pour les contrats conclus avant même l’apparition du coronavirus en Chine, le critère de l’imprévisibilité ne posera pas de grandes difficultés. La question pourrait toutefois être beaucoup plus complexe dès lors que le contrat a été conclu depuis l’apparition de l’épidémie en Chine, mais avant que celle-ci ne s’étende à la France. L’événement était-il dans ce cas imprévisible ? On peut en discuter… En revanche, il est certain que s’agissant des contrats qui pourront être conclus à l’avenir, cette question devra être anticipée lors de la négociation et la rédaction des contrats.

De même, la cour d’appel de Basse-Terre a jugé dans un arrêt du 17 décembre 2018 que cette même épidémie du chikungunya ne pouvait être considérée comme ayant un caractère irrésistible puisque cette maladie soulagée par des antalgiques était généralement surmontable et que le débiteur pouvait honorer sa prestation durant cette période. La cour d’appel de Nancy avait jugé dans le même sens s’agissant de la dengue en Martinique dans un arrêt du 22 novembre 2010.

Ces exemples pourraient être utilisés a contrario pour invoquer l’existence d’un événement irrésistible s’agissant de l’épidémie du coronavirus, qui ne comporte pas pour le moment de traitement efficace et peut être létal, notamment lorsque le débiteur sera personnellement empêché d’accomplir sa mission contractuelle en raison de la maladie.

  • L’effet des mesures de confinement actuel :

Aux termes du décret n°2020-260 du 16 mars 2020 une mesure de confinement a été ordonnée. Si lors de l’annonce du président de la République il semblait que les activités professionnelles non susceptibles d’être réalisées en télétravail pouvaient être maintenues, le décret semble plus restrictif puisqu’il mentionne uniquement les activités non susceptibles d’être reportées :

« Afin de prévenir la propagation du virus covid-19, est interdit jusqu’au 31 mars 2020 le déplacement de toute personne hors de son domicile à l’exception des déplacements pour les motifs suivants, dans le respect des mesures générales de prévention de la propagation du virus et en évitant tout regroupement de personnes :

- Trajets entre le domicile et le ou les lieux d’exercice de l’activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d’être différés ;
- Déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle et des achats de première nécessité dans des établissements dont les activités demeurent autorisées par arrêté du ministre chargé de la santé pris sur le fondement des dispositions de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique ;
- Déplacements pour motif de santé ;
- Déplacements pour motif familial impérieux, pour l’assistance des personnes vulnérables ou pour la garde d’enfants ;
- Déplacements brefs, à proximité du domicile, lié à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective, et aux besoins des animaux de compagnie.
Les personnes souhaitant bénéficier de l’une de ces exceptions doivent se munir, lors de leurs déplacements hors de leur domicile, d’un document leur permettant de justifier que le déplacement considéré entre dans le champ de l’une de ces exceptions.
 »

Les restrictions visées par ce décret limitent incontestablement l’activité économique des entreprises et auront nécessairement un impact fort dans l’appréciation de la force majeure, en particulier en ce qui concerne le caractère irrésistible de l’événement dès lors que le débiteur de l’obligation se trouvera dans l’impossibilité d’accomplir sa mission en raison de ces mesures.

  • Conclusion et mise en œuvre de la force majeure :

En résumé, pour qu’un événement soit qualifié de force majeure, il doit s’agir :

- d’un événement échappant au contrôle du débiteur ;
- qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat ;
- dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées ;
- qui empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Il faut cependant se garder de considérer que l’épidémie du coronavirus en elle-même puisse constituer systématiquement un cas de force majeure, dès lors que les effets de cet événement sur le contrat pourraient être « évités par des mesures appropriées », comme le prévoit l’article 1218 précité. Les mesures de confinement ordonnées par les décrets des 14, 15 et 16 mars, rendent cependant l’appréciation plus automatique.

Outre la date à laquelle le contrat a été conclu, l’existence d’un cas de force majeure devra également être déterminée en fonction des zones ou lieux touchés par l’épidémie et des mesures de restriction prises en certains lieux et non dans d’autres.
De plus, un lien de causalité doit être caractérisé entre l’événement qualifié de force majeure et l’inexécution de la prestation ; à cet égard, la cour d’appel de Paris par un arrêt en date du 17 mars 2016 (n°15/04263) a refusé de qualifier un événement de force majeure lorsqu’aucun lien de causalité n’était établi entre le virus et la baisse d’activité annoncée par la société.

Il demeure donc évident que le recours à la force majeure dans les circonstances actuelles devra être évalué au cas par cas, en fonction de la situation de chacun des acteurs et des contraintes auxquelles il pourrait être soumis.

S’agissant de sa mise en œuvre, rappelons que l’article 1351 du Code civil prévoit en effet que : « l’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est définitive, à moins qu’il n’est convenu de s’en charger ou qu’il ait été préalablement mis en demeure ».
Ainsi et en application de ces dispositions légales, si le débiteur d’une obligation, nonobstant l’épidémie de Covid-19 qui sévit actuellement dans le monde, accepte de l’exécuter, il renonce alors à se prévaloir de la force majeure en cas d’inexécution ou de retard.

  • Renégociation possible du contrat pour cause d’imprévision et/ou application de clauses de hardship :

Indépendamment de la question de la force majeure, il est également nécessaire de s’interroger sur l’existence d’une clause de hardship ou d’une cause d’imprévision tel que prévu par l’article 1195 du Code civil.

Cet article prévoit, en effet, qu’en cas de changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rendant son exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, qu’elle puisse entamer des discussions avec son partenaire afin de renégocier le contour et les modalités d’exécution de son obligation.

Ainsi, si une entreprise a la possibilité de contourner les effets du coronavirus par la mise en œuvre de mesures appropriées, excluant le critère d’irrésistibilité de la force majeure, elle pourrait en revanche demander une renégociation du contrat à son cocontractant si ces mesures sont particulièrement onéreuses.

Mais à nouveau, même si l’imprévision fait l’objet de dispositions légales, le contrat peut les aménager et il est donc impératif, de se référer en premier lieu aux dispositions contractuelles.