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Pacte Dutreil : la prépondérance de l’activité éligible n’est pas nécessairement fonction du chiffre d’affaires – Cass. Com., 25 janvier 2023, n°20-23.137

Dans le cadre du dispositif Dutreil, il n’est pas exigé que la société transmise exerce à titre exclusif une activité éligible (industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale), ce qui signifie qu’elle peut en exercer une autre (comme une activité civile), si celle-ci n’est pas prépondérante.

Par conséquent, comment est appréciée la prépondérance d’une activité en comparaison à une autre ?

Initialement, la doctrine administrative énonçait que « Le caractère prépondérant de l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale s’apprécie au regard de deux critères cumulatifs que sont le chiffre d’affaires procuré par cette activité (au moins 50 % du montant du chiffre d’affaires total) et le montant de l’actif brut immobilisé (au moins 50 % du montant total de l’actif brut) » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n°20 dans ses versions antérieures au 6 avril 2021).

Dans une décision du 23 janvier 2020 (CE, 23 janvier 2020, n°435562), le Conseil d’Etat, saisi d’un recours pour excès de pouvoir, a annulé cet alinéa en faisant valoir que « cette prépondérance s’apprécie en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice ».

Le Cour de cassation s’est rapidement ralliée à la position du Conseil d’Etat en précisant également que la méthode du faisceau d’indices doit s’appliquer pour apprécier la prépondérance de l’activité éligible (Cass. Com., 14 octobre 2020, n°18-17.955).

Dans la version actuelle du BOFIP, il est désormais indiqué que les deux critères du chiffre d’affaires et de l’actif brut immobilisé peuvent être utilisés « à titre de règle pratique » pour caractériser la prépondérance d’une activité. A contrario, s’ils ne sont pas remplis, cela ne signifie pas pour autant que l’activité éligible n’est pas prépondérante.

La Cour de cassation, à travers l’arrêt rendu le 25 janvier 2023 (Cass. Com., 25 janvier 2023, n°20-23.137), rappelle exactement ce principe.

Au cas particulier, le contribuable avait bénéficié du dispositif Dutreil sur les actions d’une société exerçant une activité de galerie d’art, d’éditions de livres (commerciale) et de location de son patrimoine immobilier (civile). L’administration fiscale estimait que les dispositions de l’article 787 B du CGI n’étaient pas applicables en raison de l’importance du chiffre d’affaires dégagé par l’activité de location (entre 69,35% et 81,19% sur les trois derniers exercices). Ce raisonnement a été suivi par le tribunal judiciaire puis par la Cour d’appel de Paris.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Paris au motif qu’« en se déterminant ainsi, au regard d’une part du chiffre d’affaires de la société générée par son activité civile et de la proportion de ses actifs réévalués affectée à cette même activité, sans examiner, les autres indices fondés sur la nature de l’activité et les conditions de son exercice », la Cour d’appel a privé sa décision de base légale.

Dans la suite logique de l’arrêt de janvier 2020 du Conseil d’Etat, les juges de la Cour de cassation réaffirment que l’administration ne peut uniquement se baser sur les critères du chiffre d’affaires et de l’actif brut immobilisé pour écarter le caractère prépondérant ou non d’une activité et donc qu’il est nécessaire d’utiliser la méthode du faisceau d’indices (sans toutefois fournir de liste ou exemples des indices pouvant être utilisés).

En conséquence, les critères peuvent varier d’une société à l’autre selon la nature de l’activité et les conditions de son exercice.

A titre illustratif, les moyens matériels et humains alloués à l’activité éligible mais également le temps consacré à celle-ci, ou plus largement tout élément concret lié à l’organisation interne de l’activité éligible, peuvent être des indices permettant de caractériser objectivement la prépondérance.

Il conviendra d’attendre de prochaines affaires sur le sujet mais on ne peut qu’approuver cette méthode qui permet une appréciation plus concrète et adaptée à la situation particulière de chaque société.

Avec la participation d’Emile Boutry-Montaille