La jurisprudence vient une nouvelle fois de censurer le législateur fiscal en matière d’intégration fiscale. Dans une récente décision, le Conseil constitutionnel a en effet censuré partiellement l’exonération de taxe de 3% spécifique à l’intégration fiscale en laissant toutefois au législateur le soin d’en tirer les conséquences.
Le Conseil constitutionnel et la CJUE sont à l’origine de certains des plus importants bouleversements qu’a connus la fiscalité française des entreprises ces dernières années, notamment concernant le régime de l’intégration fiscale. Avec parfois des effets dominos inattendus.
Pour rappel c’est purement et simplement pour compenser les conséquences budgétaires d’une décision [1] de la CJUE censurant la retenue à la source française sur les OPCVM que le Gouvernement français a institué, dans le cadre de l’une des lois de finance rectificative pour 2012, un nouvel impôt : la taxe de 3% sur les dividendes distribués… que le Conseil Constitutionnel a censuré partiellement par une décision [2] rendue le 30 septembre 2016.
Codifié à l’article 235 ter ZCA du CGI la taxe de 3% met à la charge des sociétés soumises à l’IS une imposition dénommée « contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés au titre des montants distribués ».
Cette contribution est en principe due par toute société IS qui procède à des distributions de dividendes et est égale à 3 % des montants distribués.
Toutefois, outre les distributions réalisées par des PME au sens communautaire, sont exonérées de cet impôt les distributions réalisées entre sociétés du même groupe fiscalement intégré au sens de l’article 223 A du CGI. Pour mémoire cet article permet, sur option, à une société de se constituer seule redevable de l’IS dû sur l’ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et par les sociétés dont elle détient, directement ou indirectement, au moins 95 % du capital. Le régime de l’intégration fiscale a pour objet, en matière d’IS, de compenser, au titre d’un même exercice, les résultats bénéficiaires et déficitaires des sociétés membres du groupe.
Sont en revanche exclues du bénéfice de cette exonération de taxe de 3%, les distributions réalisées entre sociétés d’un même groupe dès lors que celui-ci ne relève pas du régime de l’intégration fiscale, même si la condition de détention de 95 % fixée par l’article 223 A est remplie.
Il en va ainsi pour les filiales françaises de sociétés étrangères qui se trouvent dans l’impossibilité de constituer un groupe fiscalement intégré avec leur société mère dès lors que, n’étant pas établie en France, cette dernière n’est pas assujettie à l’IS.
Il en résulte, lorsque la condition de détention à 95% est satisfaite, une différence de traitement entre les sociétés d’un même groupe qui réalisent, en son sein, des distributions, selon que ce groupe relève ou non du régime de l’intégration fiscale.
C’est précisément la constitutionnalité de cette différence de traitement qui a été soumise au Conseil constitutionnel dans le cadre d’une procédure de QPC (question prioritaire de constitutionnalité).
Dans le cadre de sa décision rendue le 30 septembre 2016, le Conseil constitutionnel a relevé que :
Le Conseil Constitutionnel a donc logiquement conclu à l’existence d’une méconnaissance des principes d’égalité devant l’impôt et devant les charges publiques.
La décision rendue par le Conseil constitutionnel avait en germe des conséquences très paradoxales.
En effet les conseils à l’origine de cette QPC poursuivaient, on sans doute, le but de remettre en cause la non application à leurs clients (qui remplissaient la condition de détention 95% sans être pour autant intégrés fiscalement) de l’exonération de taxe de 3% applicable aux seules distributions au sein d’un groupe fiscal effectivement intégré.
Or, en déclarant non conforme à la Constitution l’exonération de taxe de 3% propres aux groupes effectivement intégrés, la décision du Conseil constitutionnel aurait dû en principe aligner la situation des groupes intégrés et ceux non intégrés… en les assujettissant tous à la taxe de 3% !
Soit une version fiscale de l’arroseur arrosé…
Bien conscient des effets incongrus qu’aurait pu avoir la décision qu’il rendait, le Conseil constitutionnel a donc, comme il en a le pouvoir, décidé de reporter au 1er janvier 2017 l’abrogation des dispositions litigieuses de l’article 235 ter ZCA du CGI et ce, en prenant bien soin de relever que sa décision aurait en principe dû avoir :
« pour effet d’étendre l’application d’un impôt à des personnes qui en ont été exonérées par le législateur. Or, le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient pas d’indiquer les modifications des règles d’imposition qui doivent être choisies pour remédier à l’inconstitutionnalité constatée. Il y a lieu de reporter au 1er janvier 2017 cette abrogation. »
En pratique la balle est donc désormais dans le camp du Gouvernement qui va devoir trouver une parade pour à la fois remédier à cette inconstitutionnalité et pour si possible préserver les recettes budgétaires. Tout un programme…
La tâche du Gouvernement pourrait s’avérer d’autant plus délicate qu’à son tour la CJUE devrait se prononcer, mais en 2017 seulement, sur la taxe de 3%.
Or, en reconnaissant officiellement une rupture d’égalité devant l’impôt entre sociétés françaises selon que leur société mère soit résidente ou non résidente, le Conseil constitutionnel admet implicitement mais nécessairement que la taxe de 3% peut être contraire à liberté d’établissement… ce que la CJUE devra trancher.
La réaction probable du Gouvernement pour tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel dans le cadre de la prochaine loi de finance rectificative pour 2016 ne pourrait donc être qu’un moyen de jouer la montre dans l’attente de la décision de la CJUE.
[1] CJUE, 10 mai 2012, aff. 338/11 à 347/11, Santander Asset Management SGIIC SA et autres : RJF 07/12 n° 775.
[2] Décision n° 2016-571 QPC du 30 septembre 2016