Les médicaments biosimilaires suscitent l’intérêt du législateur français et des autorités de régulation européennes et françaises. En particulier, la possibilité de substituer un médicament biosimilaire à un médicament biologique de référence, admise pour la première fois en 2013 par la loi de financement de la sécurité sociale (« LFSS ») pour 2014, abrogée en 2019 puis réintroduite progressivement en 2021, fait de nouveau l’objet d’une modification substantielle avec la LFSS pour 2024.
Jusqu’alors, à la suite de la promulgation de la LFSS pour 2022, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (« ANSM ») a mis en place progressivement la substitution, en ciblant un nombre limité mais représentatif de médicaments biologiques substituables [1]. Dans ce cadre, l’arrêté ministériel du 12 avril 2022 a permis la substitution des médicaments biologiques de référence Neupogen® et Neulasta® par des médicaments biosimilaires.
Au niveau européen, l’Agence européenne du médicament (« l’EMA ») et les autorités de santé nationales se sont exprimées en avril 2023 en faveur de la substitution automatique au profit des médicaments biosimilaires. La Commission européenne s’est faite l’écho de cette position commune dans sa proposition de réforme de la réglementation européenne applicable aux médicaments à usage humain, sans pour autant proposer un changement réglementaire concret sur ce point. Ce projet de réforme étant en cours de discussion, son contenu est susceptible d’évoluer.
Ces développements au niveau européen et en France ont conduit le législateur français à réexaminer les règles applicables en France sur ce sujet, notamment dans le cadre de la LFSS pour 2024.
Dans ce cadre, l’article 54 de la LFSS pour 2024 a pour objectif affiché d’élargir le champ de la substitution des médicaments biologiques par des médicaments biosimilaires. Toutefois, l’article L. 5125-23-2 du Code de la santé publique (« CSP »), créé par la LFSS pour 2024, prévoit une substitution à des conditions plus restrictives que celles annoncées par le Gouvernement.
Lors des discussions relatives à la future LFSS pour 2024, le gouvernement a déposé un amendement n°596 visant à permettre l’inscription automatique des médicaments biosimilaires sur la liste des biosimilaires substituables par les pharmaciens d’officine deux ans après leur commercialisation, sauf avis contraire de l’ANSM [2].
Cet objectif a été réitéré par le Gouvernement à l’occasion des observations qu’il a présentées sur le PLFSS pour 2024 lors de la saisine du Conseil constitutionnel : « l’article 54 de la loi déférée assouplit le régime applicable à ces médicaments biologiques similaires. L’objectif poursuivi est de permettre la substitution des médicaments biosimilaires par les pharmaciens d’officine de façon automatique, dès lors que les produits n’ont pas fait l’objet de remontées de pharmacovigilance deux ans après leur commercialisation. Ce délai doit permettre de confirmer que la substitution d’un biosimilaire n’a aucune conséquence en termes de prise en charge thérapeutique » (gras ajouté) [3].
L’intention du Sénat puis du Gouvernement était de s’inscrire dans le sillage de l’avis conjoint délivré par la European Medicines Agency (« EMA ») et la Heads of Medicines Agencies (« HMA ») en permettant l’inscription automatique des médicaments biosimilaires sur la liste des biosimilaires substituables par les pharmaciens d’officine deux ans après leur commercialisation, sauf avis contraire de l’ANSM.
Toutefois, la LFSS, promulguée le 26 décembre 2023 et modifiant l’article L. 5125-23-2 du CSP, a un contenu plus restrictif que ce qui était annoncé.
Il ressort de cet article qu’un pharmacien peut délivrer, par substitution au médicament biologique prescrit, un médicament biosimilaire à la condition, notamment, que ce médicament biosimilaire appartienne au même groupe biologique que le médicament biologique prescrit.
Pour ce faire, le principe demeure que ce groupe biologique similaire doit figurer sur une liste qui est fixée par un arrêté conjoint des Ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale pris après avis de l’ANSM (la liste des groupes biologiques similaires substituables) (article L. 5125-23-2, 2°, al. 1er, du CSP).
La réforme introduit une exception à ce principe, en prévoyant qu’à défaut d’inscription d’un groupe biologique similaire sur cette liste des groupes biologiques similaires substituables dans un délai de deux ans après la publication de l’arrêté inscrivant sur la liste des médicaments remboursables prévue à l’article L.162-17 du Code de la sécurité sociale un premier médicament biologique similaire, un arrêté pourra être adopté par les Ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale pour autoriser les pharmaciens à délivrer par substitution au médicament biologique de référence un médicament biologique similaire appartenant à ce groupe (article L. 5125-23-2, 2°, al. 2, du CSP).
Par exception à cette exception, l’ANSM pourra, avant l’expiration de cette période de deux ans, rendre un avis contraire afin de (i) s’opposer à toute possibilité de substitution ou (ii) subordonner la substitution à des conditions de fond et d’information tout en émettant des mises en garde (article L. 5125-23-2, 2°, al. 2, du CSP).
De plus, l’article 54, II, de la LFSS pour 2024 comporte des dispositions transitoires pour les médicaments biologiques similaires qui ont été inscrits sur la liste des médicaments remboursables prévue à l’article L.162-17 du Code de la sécurité sociale avant la publication de la LFSS pour 2024. Pour ces médicaments, l’ANSM peut rendre un avis négatif jusqu’au 31 décembre 2024.
La mise en place de ce dispositif est à suivre notamment au regard des prochains arrêtés et de la future réforme européenne du paquet pharmaceutique car, au fil des discussions, la question de la substitution des médicaments biologiques par des biosimilaires pourrait apparaître.
Dans le prolongement de l’article 54 de la LFSS pour 2024, l’ANSM a annoncé le 15 février 2024 la constitution d’un comité scientifique temporaire « conditions de mise en œuvre de la substitution des médicaments biologiques similaires » qui définira les conditions dans lesquelles les pharmaciens pourront substituer des médicaments biosimilaires.
Ce comité sera composé de représentants d’associations de patients ou d’usagers et de professionnels de santé (médecins, pharmaciens, infirmiers).
Ses travaux permettront à l’ANSM de rendre son avis sur la substitution au sein de chaque groupe biosimilaire et ce, avant le 31 décembre 2024 pour les médicaments biosimilaires inscrits sur la liste des médicaments remboursables à la date de publication de la LFSS 2024 (ANSM, Communiqué du 15 février 2024).
Par ailleurs, sur le plan européen, l’EMA a publié le 1er février 2024 un document de réflexion portant sur l’approche clinique jusqu’alors adoptée dans le cadre du développement des biosimilaires et ses possibilités d’amélioration. Ce document, destiné aux développeurs et évaluateurs de médicaments biosimilaires, est une consultation publique accessible jusqu’au 31 avril 2024 sur le site de l’EMA.
L’EMA considère que le réexamen de la nécessité de réaliser des essais/études en terme d’efficacité clinique s’impose et propose de déroger à certaines exigences qui doivent aujourd’hui être remplies pour démontrer la qualité des biosimilaires sur la base de preuves solides de comparabilité de la qualité.
Ce document de réflexion est un document très préliminaire qui n’a pas d’impact réglementaire. Toutefois, il pourrait susciter une évolution de la réglementation européenne sur ce sujet.
Gaëlle MERLIER, associée, Louise BOUCHEZ, juriste, et Romane LORENZI, stagiaire
[3] Observations du Gouvernement en date du 14 décembre 2023 sur la LFSS pour 2024, aff. 2023-860-DC, §8.